Le trio Kamerhe- Tshisekedi-Kabila 

Vital Kamerhe, un autre Mandela? On sait que ce dernier est parti de la prison à la présidence; l’autre serait en voie de gagner la primature, selon des informations dignes de foi. Le chemin du Sud-Africain a été celui de l’honneur, tandis que celui de VK (surnom politique) sera juste le contraire, puisque sa prison, à lui, aura été le fruit d’un détournement de fonds publics. Et sa libération prochaine sera une suite de manœuvres politiques peu recommandables.

Nombre d’analystes y voient, somme toute, un signe qui sonne la fin du théâtre joué longtemps par le trio Kabila-Tshisekedi-Kamerhe.

Est-ce Kamerhe un des grands hommes politiques congolais? L’hebdomadaire Jeune Afrique parle de lui, avec aplomb, comme «d’un ressuscité politique». C’est une indication à ne pas négliger. En fait, depuis sa rupture «formelle» avec Kabila, en 2009, l’intéressé est de tous les grands événements politiques du pays. Son itinéraire s’est récemment enrichi par son retrait des accords signés par l’opposition congolaise réunie à Genève, en 2018, ainsi que par ce qui s’en est suivi. On y relève son alliance avec Tshisekedi, devenu président de la République et qui aura fait de lui son tout puissant directeur de cabinet, enfin, son procès spectaculaire autant que son «emprisonnement joyeux», c’est-à-dire avoir été fait prisonnier sans être en prison.

Ces événements, quelle que soit leur portée sentimentale auprès du public (admiration ou mépris), ne sont pas moins prégnants. Le nom de Kamerhe a été ainsi porté aux nues et imposé, en quelque sorte, sur le devant de la scène politique congolaise. Créant une énorme contradiction, qui fait parfois naître de «petits héros». C’est ainsi que son procès et son emprisonnement ont profondément divisé l’opinion publique, alors que sa province natale, le Kivu, s’est révoltée au point de basculer dans une sécession. Qui ne se rappellera avoir vu sur les réseaux sociaux, au lendemain de la décision judiciaire de son emprisonnement, juin 2021, un drapeau estampillé «République du Kivu» flotter dans le ciel de la ville de Bukavu? Très peu de leaders politiques peuvent susciter, en ce moment, un tel mouvement d’humeur.

Kamerhe peut séduire partout

Ce n’est pas tout. Il dispose d’un autre atout de taille. Il parle à la perfection les quatre langues vernaculaires congolaises, dont le kiswahili, le lingala, le tshiluba et le kikongo. La langue ne présente-t-elle pas un des éléments culturels solides pour le rapprochement de personnes? Un exemple récent, près de chez-nous, est celui de Nelson Mandela, qui a appris avec intensité l‘afrikaans (langue des Blancs sud-africains), afin d’user du même langage qu’eux, dans le but de les contraindre à l’évidence. Cela étant, Kamerhe peut se promener sur l’étendue de toute la République en «ami et frère». Il peut séduire partout. Surtout que c’est un bon disert. Soit dit en passant, ce fut un des handicaps majeurs de son prédécesseur Kabila, qui ne parle uniquement qu’un kiswahili tanzanien. Incompréhensible par la plupart des Congolais s’exprimant dans cette langue.

De ce fait, le président de l’UNC (nom de son parti) s’est forgé une posture de choix sur l’échiquier politique congolais. C’est un pion majeur dans le jeu électoral autant pour le président Tshisekedi que pour son prédécesseur. Loin de tout fantasme, ce dernier se rêve encore président de la République. Or, même si la Constitution lui en ouvre une brèche, afin de rempiler pour un troisième mandat, il n’en sortira que bon dernier. Quant à Tshisekedi, il est dans la boue. Plutôt qu’une bouée de sauvetage, sa plateforme politique (dénommée Union sacrée), qui n’a d’union et de sacrée que le nom, est pour lui une véritable Tour de Babel. Faite de bric et de broc, elle est vouée à l’effondrement. En réalité, les deux compagnons de route de Kamerhe se retrouvent, en ce moment, dans une sorte de labyrinthe politique. Et Kamerhe, dans cette situation, étant leur indispensable fil d’Ariane pour les sortir du trou.

C’est dans la continuité de ce jeu de «solidarité négative», mené depuis trois ans par ce trio, que Kamerhe sera prochainement libéré. Le processus dans ce sens est déjà enclenché. Mi-avril, la Cour de Cassation de la République a annulé l’arrêt de la Cour d’appel ayant condamné l’ancien directeur de cabinet présidentiel, à 13 ans de prison, et renvoyé le dossier devant de nouveaux juges. Le second pas, à n’en pas douter, sera l’élargissement de celui-ci, sans que les contestataires éventuels trouvent à redire, puisque tous ses codétenus auront déjà été relâchés, «à titre provisoire». Quoi de plus normal quand, bien déjà auparavant, le chef de l’Etat en personne a fait publiquement l’éloge de son ancien collaborateur – pince-sans-rire -, disant que «c’était quelqu’un de sérieux, de correct. Je suis convaincu qu’il jouera à nouveau un rôle dans ce pays»! Une telle déclaration, sortie de la bouche de l’autorité suprême, à l’endroit d’un homme régulièrement jugé et condamné pour détournement et corruption, laisse perplexe. A moins que son auteur ait voulu paraphraser Galilée, qui pensait que chaque individu était «détenteur d’une part d’humanité et doté d’intelligence». Et donc «bon», par essence.

L’heure de la bataille d’ego

Ainsi, Kamerhe, bon, par essence, sera-t-il libéré, au nom de cette présomption! Pouvait-il en être autrement quand le trio se tend mutuellement la perche? A tous les coups? En gros, on a vu un Kamerhe, de marbre devant les juges, déterminé à faire l’impasse sur le nom de Tshisekedi. Il ne l’a pas évoqué une seule fois. Or, le président de la République devait solidairement être cité dans ce procès, en sa qualité de patron, qui supervise les activités du cabinet. La justice aux ordres, on l’a compris, a également passé cette question sous silence. Que dire de Kabila, qui continue à traîner ses guêtres dans les quartiers de Kinshasa et à narguer ainsi la nation et le peuple congolais, sans être nullement inquiété? Or, c’est quelqu’un qui mérite un jugement exemplaire et l’emprisonnement pour crimes gravissimes qu’il a commis pendant son règne dictatorial. L’évocation de cette réalité, pour la majorité des Congolais, éveille la notion de «Deal» passé entre Kabila et Tshisekedi, lequel jusqu’à présent demeure un mystère, ayant poussé le pays dans un gouffre. Kamerhe n’y est pas étranger. C’est l’affaire concoctée par les trois têtes.

Alors, Kamerhe, futur Premier ministre, demain? Cela va de soi. Mais, pour quoi faire? Est-ce pour le besoin de la cause électorale, au bénéfice de de ses comparses Kabila ou Tshisekedi? Est-ce pour ses ambitions personnelles narcissistes (que ses libérateurs ont semblé oublier)? Est-ce pour la survie du peuple congolais en détresse? C’est là de vraies questions, pour la majorité des Congolais, auxquelles il faut répondre – un tant soit peu -, permettant d’évaluer une telle «promotion». Pour l’instant, il faut relever que l’heure est à la bataille d’ego et qu’on ne peut imaginer ce natif du Kivu jouer le rôle de second couteau, par rapport aux autres. Il jouera perso. Ses compagnons le savent pertinemment bien et, en perspective, affûtent les armes pour le combat. En attendant, le trio va se serrer les coudes, jusqu’à la survenue d’une étincelle, qui mettra le feu aux poudres. Ce sera la fin des haricots. Quant au peuple, il n’y a rien à attendre de Kamerhe, en tant que Premier ministre. C’est un alter ego de Kabila et de Tshisekedi. Donc, une nullité. Un faux «petit héros». Qui ne verra pas les lustres de la présidence.

Mais, selon Galilée – on l’a vu ci-haut -, Kamerhe, malgré tout, a «une part d’humanité en lui…». Qui sait si la prison l’a métamorphosé? Quelle prison? Oui, il y est quand même passé, ne serait-ce que dans sa tête, parce que, en étant dehors, il vivait caché. Qu’on le veuille ou non, c’est là une forme de prison. Or, la prison est comparée à cette école «où un catalyseur transforme tout», assure-t-on. On peut en sortir assagi, doté de la sagesse de Salomon, ou alors en «criminel majoré et assumé»… Attendons de voir de quel côté notre VK avait accepté sur sa vie l’intervention de la forge.